la cantatrice de Venise

je ne suis pas cantatrice

je ne connais pas Venise

mais je sais les délices

de bien de choses exquises

 

marcher dans les rigoles

manger du chocolat

être un peu frivole

et rire aux éclats

 

je ne suis pas cantatrice

je ne connais pas Venise

mais je sais les délices

de bien de choses exquises

 

écrire des livres d’enfant

inventer des paysages

dessiner des visages

oublier d’être grand

 

je ne suis pas cantatrice

je ne connais pas Venise

mais je sais les délices

de bien de choses exquises

 

chanter des rengaines

jouer avec mon chat

qui s’appelle Tilala

oublier la haine

 

mais j’ai été cantatrice

je vivais à Venise

dans une autre vie de délice

et de choses exquises

 

ma robe était rouge

et mon regard très noir

je chantais tous les soirs

pour les marins du bouge

 

je m’appelais Maria Alba

je riais sous les capelines

et buvais de thé de Chine

au milieu des falbalas

sous un grand voile noir

très tôt le matin

je cachais mon désespoir

et promenais mon chagrin

 

j’étais une ombre-lune

accoudée aux balustrades

parfois sur la lagune

ou exhibée sur les estrades

 

offerte et insaisissable

mon regard s’échappait

là-bas sur le sable

d’ou les bateaux partaient

 

le fougueux marin espagnol

à l’accent madrilène

loin des vénitiennes gondoles

repartait dans l’arène

 

alors je brodais je brodais

un habit rouge et noir

et je pleurais pleurais

je savais ne plus le revoir

 

aujourd’hui comme avant

j’aime broder en rouge et bleu

sur des très long rubans

qui jouent dans mes cheveux

 

depuis lors ma foi

je hais les corridas

et les habits de lumière

profondément me désespèrent

 

les hommes à l’accent latin

me plongent dans le chagrin

mais leurs yeux de velours noirs

me poursuivent tous les soirs

 

je ne suis pas cantatrice

je ne connais pas Venise

mais je sais les délices

de bien de choses exquises