la gare
Parfois sous mes paupières closes
tournoient des souvenirs rouges bleus ou roses
couleurs des tendres et fidèles myosotis de nos jardins
ou des coquelicots de nos chemins
La gare de notre beau village
à présent ne vit qu’en images
après ce terrible fracas ce grand éblouissement*
les images qui restent sont celles de nos sentiments
je me souviens de cette salle d’attente vitrée
où s’échangeaient vite quelques confidences feutrées
avant l’arrivée bruyante
des locomotives haletantes
dans ma mémoire flottent encore les reflets des sourires
et les éclaboussures des rires
des carambolages d’images
parfois écrasées de soleil ou de lourds nuages
je sais encore les visages pensifs et recueillis
de ceux qui avançaient avec l’idée du devoir accompli
nobles voyageurs du quotidien
jetés sur le quai si tôt le matin
je revois aussi les cabas des tricoteuses et des brodeuses
ou les cartables en cuir si lourds des écolières studieuses
d’autres sacs un peu mystérieux et tenus fermement
car ils contenaient de bien précieux aliments
souvent en été dans les odeurs de foin coupé
comme illuminée des promesses de la journée
la gare chassait le flamboiement des idées noires
et semblait dire je vous attends : à ce soir
je porte encore ces impressions bleutées
lorsque au bout des longs chemins enneigés
des regards de compassion muette
parlaient de printemps à venir et de pâquerettes
bien sûr il y eut quelques départs en joyeux
et des retours… heureux
mais les valises en partance
ne furent pas toujours le signe de départ en vacances
c’est à cet endroit à cette gare que mon père
une fois dernière
aperçut les camomilles tenaces et les coquelicots insolents
qui poussaient sous les rails si douloureusement brillants
derniers clins d’œil d’espièglerie
de son village natal abandonné malgré lui
Aujourd’hui encore dans le creux des arc-en-ciel
s’étirent des nuages de poison et de miel
toutes ces impressions confondues
tourbillons d’une vie intensément vécue
automnes de pluie
aux lourds trains de nuit
mêlés aux tendres promesses du printemps
si loin et pourtant si présents
* La gare de Kappelkinger a brûlé lors du crash d’un avion de chasse à l’entraînement.